Aujourd’hui, c’est jeudi et, depuis hier, je suis exclu du lycée pour une semaine. Parce que j’ai tabassé deux gars. Il y a une demi-heure, Alex est passé chez moi et par d’innombrables péripéties, il connaît à présent tout de mon passé peu glorieux : je suis le fils d’un yakuza assassiné sous mes yeux. Mais le plus étonnant, c’est qu’après ça, il a tenu à faire le repas. Et moi… Ben j’ai accepté.

Je m’habille dans ma chambre. Soudain, je m’arrête. Je viens de m’apercevoir de quelque chose : j’ai vidé mon placard en cherchant quelque chose de potable à mettre. Sauf que j’ai l’impression que ce que je cherche, c’est quelque chose qui plaira à Alex. Serais-je en train de me comporter comme… une fille ?! Je peste des noms d’oiseaux et enfile les premières fringues que je trouve – parmi le gros tas éparpillé sur mon lit – puis remets mes bracelets et file à la cuisine. Je devais avoir l’air bien con !

Une douce odeur me remet rapidement de bonne humeur. Alex est plus doué que je ne l’aurai cru. Mon ami se tourne vers moi, tout sourire.

-  J’ai fait des hamburgers ! J’espère que tu aimes !

Je lui souris en retour et m’assois.

-  Et comment !

Pendant que je déguste le plat d’Alex – extrêmement délicieux, d’ailleurs ! – mon cuisinier me sort une phrase que je n’aurai jamais pensé entendre de sa bouche :

-  Heureusement qu’il n’y a personne d’autre, ici. (je le regarde sans comprendre) On dirai un couple !

Je manque de m’étouffer.

-  Non mais qu’est-ce que tu racontes ?! dis-je en toussant. C’est n’importe quoi !

Par contre, lui, ça a pas l’air de le perturber plus que ça ; il reste tout sourire, comme un gosse qui dit un truc sans en connaître le sens. Je soupire et reprends de l’assurance.

-  Pff… c’est n’importe quoi.

-  De toute façon, même s’il y avait quelqu’un d’autre, continue mon  voisin, s’il disait quoi que ce soit, je lui éclatais la face, alors je dis les conneries que je veux !

Mon ami explose de rire. Je fais semblant de rire, moi aussi, pour dissimuler le coup meurtrier que je viens de me prendre. "Les conneries que je veux", hein… Oui… Des conneries.

Le repas est fini et ça fait un quart d’heure que je force Alex à retourner en cours pour l’après-midi :

-  Ferme-là et va en cours, du con ! je hurle.

-  Mais ça me soûle, le lycée ! plaide-t-il.

-  Et ton bac, tu comptes l’avoir dans ton lit ?!

-  Et pourquoi pas ?!

-  Idiot ! File en cours ou tu passeras même pas le bac blanc ! C’est ton avenir, que tu joues, j’te rappelle.

-  Mon avenir ! Je ne le…

Il s’arrête là. Je le regarde, interloqué. Oh… Ses joues sont rouges. Hein ? Il dévie son regard du mien et part en direction de la sortie. Je tente de comprendre :

-  J’ai dis un truc qui fallait pas ?

Il s’arrête. Alex se retourne à toute vitesse et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, était face à moi, ses yeux couleur ambre plongés dans les miens. Eh, il est plus petit que moi ? Il articule quelque chose, mais un seul son ne sort :

-  Je…

Son visage entier est rouge. Là, je comprends vraiment rien. Il tente l’essai une nouvelle fois :

-  Je… !

Encore raté. Alex baisse la tête, grogne, puis sort de la maison en courant. J’essaie de le rattraper, mais c’est peine perdue. Il est déjà loin. Je me gratte l’arrière de la tête.

-  Il vient de se passer quoi, là ? je me murmure à moi-même, sur le seuil de l’entrée.

Je soupire. La situation a dégénéré en un temps records ! J’avais encore jamais réussi à le faire en si peu de temps ! Je rentre à l’intérieur, l’esprit perdu.

-  Bon. Bah je vais retourner me coucher, hein…

**

Je suis réveillé par un oreiller.

-  Debout, marmotte !! hurle Lizy.

Je grogne. Je regarde l’heure. 17 heures. Wah ! J’ai dormis tout ce temps ? Je me lève – non sans soupirer – et entends ma sœur se taper une barre :

-  Je rêve ! T’as dormis fringué, frangin ? Hahaha ! C’est trop con !

-  Ferme-là, mollusque.

-  EH ?!

Comme à chaque fois qu’on se cherche, ça fini en bagarre. Les oreillers volent, ainsi que tout ce qui est susceptible de faire mal. Une fois, il y a quelques années, on s’est tous les deux cassé un bras. Ma mère débarque, furieuse :

-  Mais c’est pas vrai !

Si ma mère paraît douce est gentille devant les invités ou les inconnus – je ne dis pas qu’elle ne l’est pas ! je tiens à la vie – elle peut aussi être… violente. Ainsi, un magnifique coup de poing bien placé vient se fracasser sur mon crâne. Et sur celui de Lizy, quelques secondes après.

-  Vous recommencez ! crie-t-elle. Dan ! (je tressaille) Déjà que tu est exclu pour violence envers autrui, il faut en plus que tu te battes chez toi ! Tu t’entraînes, ou quoi !

Dans un autre contexte que celui-ci, j’aurai éclaté de rire. Mais là, il vaut mieux que je la ferme. Au tour de ma sœur de flipper :

-  Lizy ! (elle tressaille) Ne tente pas ton frère, s’il te plaît ! J’ai bien assez de mal pour le garder calme, alors si tu l’aide à se battre, ça ne va pas le faire ! (elle soupire) J’aimerai que vous vous comportiez en adultes responsables, tous les deux. Dan, tu vas bientôt être majeur… Tu ne crois pas qu’il est temps de te ressaisir ? Lizy, tu rentres l’année prochaine au lycée… Il y a encore un peu d’espoir en toi. (elle pose ses mains sur les épaules de ma soeur) S’il te plaît, ne deviens pas comme ton frère !

-  Hé ! dis-je, irrité.

Les deux femmes – rectification : la femme et l’espèce de sale gosse – en face de moi rient de bon cœur. Moi, je soupire. J’ai frôlé la mort de justesse... 

Ce qui plaisait à mon père, chez ma mère, c’était sa force d’esprit. Et sa force physique, aussi. En bref, ma mère est quelqu’un de balèze qu’il ne faut pas énerver. Et c’est ce que mon père a fait : il l’a cherchée. Il l’a trouvée, d’ailleurs ! Et il en est tombé amoureux. Une histoire entre un yakuza et une française en voyage scolaire pour son lycée au Japon. Dont je me passe de vous raconter !

Je repense à ce qu’il s’est passé dans la matinée. Je ne comprends rien à rien, avec lui, c’est barbant !

-  Il s’est passé quoi, ce matin ?

Je sursaute. Ma mère est partie en bas, mais ma sœur est restée sans que je m’en rende compte. J’hésite :

-  Pou… Pourquoi tu me demandes ça ? Il ne s’est rien passé !

Dans ses yeux, je peux lire un mot : Menteur. Elle me tire la langue.

-  Tes joues parlent pour toi, grand con !

Je grince des dents. Merde ! En effet, j’ai les joues en feu. Je soupire – ça arrive souvent, c’est derniers temps ! – et demande à Lizy de s’asseoir.

-  Promets-moi simplement de ne le répéter à personne…

Je me prends immédiatement un coup de poing dans l’épaule.

-  Idiot ! Je n’ai jamais répété que tu es gay, alors je ne le dirai pas !

Je lui souris. Et je lui raconte ce qu’il s’est passé plus tôt. A la fin de mon récit, Lizy éclate de rire :

-  Toi, t’es vraiment aveugle !

Hah ?!

-  Mais oui ! J’oubliais que tu es un mec… continue-t-elle sans faire attention à mes poings serrés. Tu ne comprends pas les messages subtils.

-  Quels messages subtils ?

-  Tu dis que cet Alex était rouge pivoine, n’est-ce pas ?

-  Ben, euh… Ouais ? Et alors ?

Elle me frappe la tête.

-  Et alors c’est un signe, crétin d’imbécile !

Tiens, elle a ajouté une nouvelle insulte à son registre… ! Je m’impatiente :

-  Mais un signe de quoi ? De quoi tu m’parles ?!

-  Il était tout rouge. Il hésitait dans ses propos. Il s’emportait pour un rien. Les mots de sortaient plus de sa bouche. Et tout ça après être venu prendre de tes nouvelles.

-  Tu sais qu’énumérer tout ce que je t’ai déjà raconté ne t’avanceras à rien, p’tite sœur ?

-  Mais bougre de con ! Il est bouleversé ! Tu l’attires !

La tension est trop forte. J’explose de rire. Le fou rire est si intense que je ne peux plus parler pendant cinq bonnes minutes. Mon fou rire un peu calmé, je parviens à prononcer quelques mots :

-  Bouleversé ? Lui ? Par moi ? Haha !! Quelle blague ! Tu m’fais trop rire, soeurette !!

Une larme perle à mon œil tant je ris. C’est du grand n’importe quoi ! Mais ma sœur ne le prend pas aussi bien : son pied se fracasse contre mon abdomen.

-  Alors là, je ne te comprends pas, Dan ! crie-t-elle. Tu me parles de lui à longueur de journée comme s’il était la représentation de Dieu sur Terre, et quand on te dit qu’il ressent des choses pour toi, tu éclate de rire ? Explique-toi. Maintenant !

Oof… Elle l’a bien placé, son coup de pied ! Je reprends ma respiration puis m’explique plus clairement :

-  Tu t’emballes pour rien, Lizy. Et tu te fais des films ! Franchement, un type comme lui, qui a tout pour que la vie lui sourie, serait attiré par le Fils de Satan, ce gamin sanguinaire qui a envoyé tout un collège à l’hôpital ? Eteins ton écran, de temps en temps… Ce genre de choses n’arrivent que dans les films les plus "cucu-la-praline" !

Un rictus s’échappe de ma bouche. Je continue :

-  Je ne l’attire pas, Lizy. Je ne risque pas d’y arriver.

Ma petite sœur ne trouve rien à redire. Elle baisse la tête et s’en va, devenue muette. Je m’assois sur mon lit et pose ma tête contre mes mains.

         - Je sens que la semaine va être longue…