• Chapitre 8 : Quand faut y aller, faut y aller !

    Je suis clouée. Bouche bée. Matthias me tient dans ses bras. Il sourit.

    Il sait qui je suis.

     

    Tout remonte à il y a deux jours…

    Depuis deux semaines, Matthias, Isaac et moi sommes de très bons amis. Mais ces derniers jours, je peine énormément à les maintenir à l’écart de mon secret : je suis morte il y a 318 ans. On organise des soirées et des sorties ensembles tous les week-end et j’ai de plus en plus de mal à inventer un bobard suffisamment convaincant pour qu’ils n’aient pas à venir chez moi. Et le pire de tout, c’est que ça me fait un peu mal de voir la tête boudeuse de mes amis à chaque fois que je refuse qu’une fête soit chez moi. Et dire que pendant 318 ans, je n’ai jamais éprouvé quoi que ce soit pour personne…

    Il y a donc deux jours, un jeudi, Isaac vient me voir à la fin du cours de maths, à 15h30.

    -  Lorelay, dit-il avec assurance, il faut qu’on parle.

    Je soupire.

    -  La dernière fois que tu m’as dit ça, j’ai eu droit à une demi-heure de sermon. Qu’y a-t-il ?

    -  Et ça s’est bien terminé, alors je recommence ! beugle-t-il en riant. Avec Matt on voudrait voir la série complète des Harry Potter, ce week-end…

    -  Et ce ne sera pas chez moi.

    -  Mais pourquoi ? plaide-t-il. Chez moi y’a pas la place avec ma frangine qui fait une fête avec ses copines… (il fait le geste des guillemets avec ses doigts d’un air dégoûté) Et chez Matt c’est pas possible non plus, ses parents ont invité des amis…

    Je glousse en nous imaginant tous les trois, assis par terre, roulés dans des duvets, en regardant Harry Potter avec des adultes qui parlent derrière. Ça pourrait être marrant !

    -  Je comprends que vous voudriez voir la série complète des Harry Potter, mais chez moi non plus c’est pas possible. Et puis on est pas obligé de faire des trucs ensembles tous les week-ends.

    -  Si, on est obligé !

    Je le regarde sans comprendre.

    -  Avec Matt, c’est notre devoir de faire quelque chose ensemble tous les week-ends ! déclare-t-il d’un ton solennel.

    -  On a été assez séparés comme ça, intervint Matthias.

    Ah bon ?

    -  Comment ça ? je demande.

    Il ferme les yeux et un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres. Qu’est-ce qu’il est beau… Je me gifle mentalement et chasse vite fait bien fait cette pensée stupide de mon esprit. Ces derniers temps, je fonds littéralement devant lui et ça me gonfle !

    -  Je te raconterais tout, à condition qu’on regarde la série complète des Harry Potter chez toi, ce week-end !

    J’écarquille les yeux. Non mais j’y crois pas !

    -  T’es sérieux, là ?! Quel mufle !

    Matthias éclate de rire jusqu’au moment où il se reçoit mon cahier de maths en pleine tronche. Je frise la crise d’hystérie tant la face que tirent mes amis est hilarante. Je tiens deux secondes puis j’éclate dans un fou rire – devenu presque banal ces derniers temps – et je suis vite rejointe par les deux garçons. Matthias me regarde d’un air déterminé et je sais que je suis dans la mouise.

    -  Attends un peu que je me venge, toi !

    Et il se jette sur moi pour me faire… un gros câlin. Ce salaud sait parfaitement que je n’aime pas ça.

    -  Ah ! Non ! Lâche-moi, espèce de… bisounours !

    Et Isaac se marre en me regardant me débattre contre un type qui fait de la musculation tous les dimanches soirs.

    -  Allez, dis oui ! Steuplé, Laure !

    Je soupire. Depuis une semaine, Matthias persiste à m’appeler Laure et veut que je l’appelle Matt. C’est encore une manie d’Isaac, de diminuer le nom de tout le monde ! Je m’écarte de l’étreinte de mon ami avant de le regarder droit dans les yeux.

    -  Matthias…

    Je suis interrompue par un garçon de la classe qui entre rapidement et demande à Isaac de le suivre.

    -  On a besoin de toi pour le labo de chimie, dit le garçon, timide.

    -  Pas de problème, j’arrive.

    Isaac sort de la salle avec le garçon, me laissant seule avec Mathias. Je poursuit ma phrase :

    -  J’aimerai bien, mais ça n’est pas possible.

    -  Pourquoi c’est jamais possible, avec toi ?

    Une lueur de tristesse passe dans ses yeux. Si j’avais encore un cœur, il se serrerait tant c’est douloureux de voir cette expression sur son visage. Je baisse les yeux.

    -  Des histoires de famille. Je ne peux pas amener qui que ce soit chez moi. (je relève les yeux vers les siens) C’est comme ça depuis toujours, Matthias. Je ne peux pas le changer pour un film…

    J’aime de moins en moins mentir avec lui, alors je joue avec les mots. Il baisse les yeux à son tour.

    -  Ok, je comprends.

    Il relève la tête et me décoche un sourire façon Colgate, le sourire du jour où je l’ai rencontré.

    -  Alors tu sauras pas ce qu’il nous est arrivé, à Isaac et moi ! Na !

    Il sourit comme un gamin.

    -  Matthias, s’il te plaît, arrête de te planquer derrière un sourire gamin, quand tu ne vas pas bien, ça ne marche pas, avec moi.

    Il perd son sourire. Une ombre passe dans son regard. Oh non, pas cette tristesse… Soudain, il s’approche de moi et m’enlace.

    -  Que… ? Qu’est-ce que j’ai fait pour recevoir ton attaque à la bisounours ?

    -  Ce n’est pas mon attaque, Laure…

    Sa voix est basse, presque… tremblante.

    -  Parle-moi de tes problèmes familiaux… Parle-moi de ce qui t’empêche… (il passe sa main dans mes cheveux) …d’être heureuse.

    J’écarquille les yeux. Quoi ?

    -  Mais… Je suis heureuse, Matthias…

    -  Ne me mens pas, Laure… (il resserre son étreinte) Je vois bien qu’à chaque fois qu’on parle d’aller chez toi, tu te sens mal… S’il te plaît, dis moi.

    Je ferme les yeux et maudit le ciel de ne pas pouvoir pleurer.

    -  C’est tellement compliqué, je… Je ne peux pas te le dire.

    -  Pourquoi ?!

    A ce stade-là, c’est plus de l’anxiété, c’est carrément un excès ! Ses bras se resserrent encore un peu plus. Mais ce qui me choque le plus, ce n’est pas la force de ses bras. Il tremble.

    -  Pourquoi est-ce aussi important, pour toi ?

    Il inspire profondément avant d’avouer :

    -  Ça me fait mal de savoir que je ne peux pas te rendre heureuse, qu’il y a quelque chose d’autre, d’extérieur à nous qui m’empêche de t’avoir.

    Alors là, c’est le pompon ! Me prendrait-il pour un vulgaire objet ?

    -  Qui t’empêche de m’avoir ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

    Il relève la tête pour plonger son regard d’émeraude dans mes yeux bleus.

    -  Parle-moi de tes problèmes et je t’avouerai tout.

    Et voilà qu’il remet ça !

    -  Je ne tomberai pas dans le panneau !

    Matthias sourit tristement puis m’embrasse sur la joue. Wah, c’est doux…

    -  Très bien.

    Et il me lâche. Il prend son sac et sort de la pièce.

    Je reste là, les yeux écarquillés, la main sur la joue qu’il vient d’embrasser. C’est la deuxième fois en cinq minutes qu’il se paie ma tête ! Mais en même temps, j’ai vraiment envie de savoir ce qu’il a voulu dire… les deux fois. Mais pour ça, il faut que je lui avoue tout. Absolument tout. Je panique.

    -  Espèce d’enflure !! me dis-je à moi-même. Mais qu’est-ce qu’il me gonfle, ce mec ! Qu’est-ce qu’il lui a prit de faire ça ?!

    Je gémis. La dernière personne qui m’a embrassée sur la joue, c’est ma mère. Je voudrais pleurer et hurler, maudire le ciel de ne pas m’avoir fait mourir quand il en avait l’occasion, mais je suis coincée là, avec un choix sur les épaules. Un choix qui, soulignons-le, inclus le monde entier. Je ferme les yeux cinq secondes. Soudain, j’attrape mes affaires et sors de la classe en courant.

    -  Matthias !! Attends-moi !!

     

    Je le rattrape au portail du collège.

    -  Matthias !! Attends !! (il se retourne vers moi) Je… Je vais tout t’expliquer.

    Son regard s’agrandit et un sourire se dessine sur ses lèvres. Il se penche pour m’enlacer, mais je l’arrête.

    -  Pas ici, Jeanne pourrait me tomber dessus. Et, perso, j’ai pas envie d’avoir sa bande aux fesses parce que tu m’as prise dans tes bras.

    Il éclate de rire et je lui demande de me suivre. On arrive jusqu’au parc où l’on s’est rencontré, pas loin de chez lui. Comme ça, s’il veut fuir, il n’aura pas grand chose à parcourir… Je me retourne vers lui et lui dit :

    -  J’accepte de tout t’avouer, mais à une seule condition…

    Je hais cette phrase.

    -  …Promets-moi de ne le répéter à personne. Pas même à Isaac.

    -  Je te promets tout ce que tu voudras.

    -  Je suis sérieuse, Matthias. Ce que je vais te dire, c’est… complètement fou. Tu ne me croiras peut-être pas… Non, c’est certain que tu ne me croiras pas.

    -  Où veux-tu en venir, Laure ?

    -  La vérité, Matthias…

    Je tremble. J’ai vraiment peur de ce que vais dire.

    -  C’est que… Je suis morte il y a 300 ans.

    J’ai l’impression qu’il s’écoule des heures avant de l’entendre dire :

    -  Wow. Je savais que t’aimais rire, mais là…

    J’écarquille les yeux. Quoi ?!

    -  Bon, parle-moi de tes problèmes, maintenant, s’il te plaît…

    -  Mais c’est ça, mon problème !

    Il ferme les yeux.

    -  Laure, je n’ai pas envie de blaguer, je veux savoir…

    -  Mais je ne blague pas !!

    Je crie. Je suis en panique.

    -  Je ne rigole pas, Matthias ! Je suis vraiment morte il y a 300 ans ! Il fut que tu me croies !

    -  Franchement, Laure, c’est absurde. Tu n’es pas un fantôme. Ça se voit !

    -  Je suis un zombie !

    Il s’arrête deux secondes puis se met à rire.

    -  Laure, les zombies ont un corps en décomposition et, surtout, ils n’existe pas.

    Je ferme les yeux et plaque mes mains sur ma tête. C’est tellement douloureux…

    -  Laure… commence-t-il.

    -  Arrête avec tes « Laure » !! Je m’appelle Lorelay Degot, je suis née en 1681 et je suis morte en 1695 après m’être faite renverser par un cheval fou !!!

    Je marque une pause.

    -  …et je suis enterrée au cimetière qui se trouve derrière moi…

    Je tombe à genoux sur le sol, le visage caché derrière mes mains. Je tremble de tous mes membres. J’entends des pas. Je pense que c’est Matthias qui s’en va, me croyant folle. Soudain, je sens des bras m’enlacer.

    -  Chut, Lorelay, calme-toi… Tout va bien.

    Je me débats.

    -  Non, tout ne va pas bien ! Tu ne me croies pas, avoue-le…

    Il me vient tout à coup une idée. Je vais lui prouver que je dis vrai. J’attrape le canif que je garde toujours dans ma poche et l’approche de mes veines.

    -  Qu’est-ce que… Lorelay, non, ne fais pas ça !!!

    Trop tard. Je me tranche les veines. Matthias panique. Il m’arrache le couteau des mains et le range dans sa poche.

    -  P… Lorelay mais qu’est-ce qui t’as prit ?!?! (il m’attrape le poignet) Pourquoi tu…

    Il s’arrête net. La plaie toute fraîche est en train de se refermer, lentement, sous ses yeux. Il lève les yeux vers moi.

    -  Comment…

    -  Tu comprends, maintenant ?

    Je souris tristement. Il va partir. C’est comme ça que ça doit se passer. La plaie est à présent complètement fermée. Sans qu’aucune goutte de sang n’ait été versée.

    -  Tu es déjà morte…

    J’acquiesce en silence.

    -  La fille que j’aime est déjà morte.

    Qu…

    -  Quoi ?

    Je ne comprends pas. Matthias ouvre la bouche, la referme, puis la rouvre sans pouvoir prononcer un seul son. Il secoue la tête.

    -  Donc attends, attends, tu es morte depuis 300 ans, et tu vis dans un cimetière ?

    Je hoche la tête.

    -  Donc c’est pour ça que tu ne voulais pas qu’on vienne chez toi ?

    Je hoche à nouveau la tête.

    -  Et donc t’as pas de problèmes avec ta famille ?

    -  Elle est morte. Mais elle, elle est montée au ciel.

    Il reste bouche bée. Soudain, il pose ses deux mains sur mes épaules.

    -  Lorelay !! Reste avec moi à tout jamais et je te redonnerai la vie !!

    QUOI ?!

    -  Non mais qu’est-ce que tu racontes ?!

    -  Réfléchis ! crie-t-il, tout souriant. Il y a forcément une machine qui permet à ton corps de bouger sans se décomposer ! (je hoche la tête) Et si on se servait de la technologie utilisée par cette machine pour en créer une autre qui ferait battre ton cœur à nouveau ? Ce serait génial ! Tu pourrais grandir et vivre une véritable vie !

    -  Mais tu va faire de moi le cobaye des scientifiques complètements tarés…

    Il plonge ses yeux dans les miens. Une lueur d’espoir passe en lui.

    -  Le seul scientifique complètement taré pour qui tu peux être le cobaye, c’est moi. Je ne laisserai personne connaître notre secret !

    Notre secret…

    -  Lorelay, tu fais battre mon cœur et je veux pouvoir faire battre le tien.

    Et il m’embrasse. Sur les lèvres, cette fois. C’est doux… Les secondes sont des heures, pendant ce cours instant où nos lèvres restent collées. Lorsqu’il s’écarte de moi, pour la première fois en 318 ans, je ressens de la chaleur là où mon cœur a cessé de battre.

    -  Pourquoi… t’as fais ça ? je demande, hésitante.

    -  Je n’ai fais qu’imager mes paroles, répond-t-il en souriant malicieusement.

    Pu… Qu’est-ce qu’il est canon… C’est possible, pour un zombie, de trouver quelqu’un beau ? Il me prend dans ses bras et m’embrasse la joue.

    -  Puis-je voir cette machine qui te permet de vivre ? – enfin, tu vois ce que je veux dire…

    Je glousse et me relève.

    -  Suis-moi.

    Il m’emboîte le pas et nous nous arrêtons devant ma "maison". J’inspire profondément. Matthias pose soudain sa main sur mon épaule.

    -  Ça va aller ? s’inquiète-t-il.

    -  Oui, oui, c’est simplement la première fois que j’amène quelqu’un ici…

    Il est derrière moi. Ses bras m’entoure comme si ce geste était devenu un automatisme.

    -  On peut reporter ça à un autre jour, le temps de t’habituer à ne plus porter ce poids toute seule, si tu veux.

    Son souffle est très près de mon oreille. C’est assez… déroutant. Je me retourne vers lui avec un sourire gêné.

    -  Ça ne te dérange pas ?

    Il me décoche son sourire façon Colgate en inclinant la tête sur le côté.

    -  Pas le moins du monde, ma chère…

    Il me regarde avec des yeux verts remplis d’un sentiment que je ne connais pas.

    -  …Petite amie.

    J’écarquille les yeux. Il a dit quoi, là ? Avant que j’aie le temps de réagir, il me prend dans ses bras pour me soulever. Hé ! Une main dans mon dos et une autre à l’arrière de mes cuisses. Mais c’est qu’il me porte comme une… Princesse ?!

    -  Matthias !! Pose-moi au sol !! Matthias !!

    Je me cramponne à son cou pour ne pas me ramasser lamentablement par terre, puisque qu’il n’a pas l’air décidé à me reposer par terre !

    -  Dis-moi au moins où tu m’emmène !

    Il éclate de rire. Je t’ai pas demandé de rire, idiot ! Puis se décide à me répondre.

    -  Je t’emmène chez moi.

    QUOI ?! Il répond aussi à ma question muette.

    -  N’ai-je pas promis de t’avouer mon histoire et celle d’Isaac si tu me parlais de tes problèmes ?

    Ah.

    -  Tu as promis de tout m’avouer si j’acceptais qu’on regarde les Harry Potter chez moi. Je n’ai rien accepté du tout !

    -  Mais pour moi, c’est comme si tu avais accepté.

    -  Mufle !

    Il éclate une nouvelle fois de rire. Soudain, il me dépose par terre. Enfin ! Et je me rends compte qu’on est arrivé devant la boulangerie où travaillent ses parents. Oh… merde.

    -  Ce sera plus pratique de tout t’avoue avec des images, dit-il calmement en ouvrant la porte de la boulangerie, j’ai des albums dans ma chambre.

    Je décide de ne rien dire. Il vaut mieux pas faire quelque chose de travers, ça ruinerait mes chances de mieux le connaître ! Dans sa chambre – grande, avec un lit deux places, deux armoires, un ordinateur haut de gamme, pleins de posters de groupes de rock et trois guitares électriques – il ouvre un tiroir de son bureau et en sort un gros album photo. Il me le tend.

    -  Tiens. Je n’ai pas la force de t’en dire plus.

    -  Ça n’a pas l’air joyeux, ton histoire avec ce crétin… Euh ! j’veux dire, avec Isaac.

    Il pouffe de rire.

    -  Vous vous entendez vraiment comme chien et chat, tous les deux.

    -  Qu’est-ce que tu veux, c’est un idiot, et j’ai toujours eu du mal à calquer les idiots.

    Il me sourit d’un air entendu et j’ouvre l’album.


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