• Chapitre 9 : Souvenirs...

    La première photo est ancienne, abîmée et a perdu quelques couleurs. Une photo de groupe. Au centre, deux garçons, deux enfants. L’un a de grands yeux vert émeraude et des cheveux noirs en bataille. Matthias. L’autre, un peu plus grand, a des yeux noisette et des cheveux châtains, en bataille, eux aussi..

    -  C’est Isaac ? je demande en désignant le petit garçon.

    Mon petit ami acquiesce d’un hochement de tête. Il était mignon, en brun… Pourquoi s’est-il teint les cheveux ?

    Derrière les deux enfants, y a quatre adultes. Je reconnais les parents de Matthias, souriants, comme toujours, contrairement aux deux autres à côté d’eux. Ils ont tous les deux des yeux sombres et des cheveux parfaitement coiffés. Leurs vêtements indiquent qu’ils sont d’un milieu plutôt aisé, col roulé et chemise blanche parfaitement repassée sont mis en avant.

    -  Ils ont l’air d’être sacrément matérialistes, ceux-là… dis-je à Matthias. Ce sont…

    -  Les parents d’Isaac ? Non. C’est sa première famille d’accueil.

    -  Il est orphelin ? (il hoche la tête) Il a eu plusieurs famille d’accueil ?

    -  Une dizaine, à peu près.

    Quand même… Je tourne les pages. Plusieurs photos sont de Matthias et Isaac en train de se bagarrer ou de jouer. Soudain, une photo attire mon attention. Isaac est assis par terre, contre un mur. Il doit avoir 8 ou 10 ans. Il tient sa tête dans les mains. Je crois qu’il pleure – la photo est trop abîmée pour savoir. Ses mains sont pleines de sang, comme s’il avait frappé quelque chose – ou quelqu’un – avec beaucoup de force. Ses vêtements sont déchirés, pleins de terre et de sang. Matthias est accroupit à côté de lui et je devine qu’il était en train d’essayer de le rassurer quand la photo a été prise. Il a dû se passer quelque chose de grave…

    -  Que s’est-il passé ?

    Matthias ferme les yeux et fronce les sourcils.

    -  Isaac s’est battu avec des racailles qui traînaient devant l’école. Ils voulaient tabasser un gamin de notre classe et Isaac s’est interposé. Quand on est rentré chez sa troisième famille d’accueil, son père n’a rien voulu entendre et l’a même engueulé de rentrer aussi sale ! Isaac ne s’entendait pas bien avec sa famille, à ce moment-là, et ça a été la goutte d’eau en trop. Il a pété un plomb et, malgré ses blessures qui lui faisaient très mal, il a collé une gifle à son père et est parti en hurlant.

    Il marque une pause.

    -  Isaac n’a jamais aimé qu’on lui donne des règles. Et sa troisième famille d’accueil lui en donnait énormément.

    Il se tait. Je reste moi aussi un moment silencieuse, les yeux rivés sur cette photo.

    -  Il doit avoir une vie assez compliquée…

    Matthias remonte les yeux vers moi. Ils sont embués.

    -  Oui, très.

    -  C’était de ça dont tu voulais parler, l’autre fois, en disant que vous avez été assez séparés comme ça ?

    -  Non, ça, c’est encore une autre histoire.

    Y’en a combien ? Je tente une approche :

    -  Et quelle est cette autre histoire ?

    Il glousse.

    -  C’est d’accord, je vais te raconter. Va à la fin du bouquin et regarde la dernière photo.

    J’obéis. La dernière photo est beaucoup plus récente. Isaac doit avoir quelques années de moins que maintenant. Il porte un costume blanc immaculé, une rose sur la poitrine, une chemise blanche et une cravate noire. Il est impeccablement coiffé, pas comme en cours ! Sa mine est grave, vide. Il n’y a aucune émotion dans ses yeux.

    -  Pourquoi il est habillé comme un majordome ? je demande.

    -  Parce que c’est ce que sa dernière famille d’accueil voulait.

    J’écarquille les yeux. Sa famille voulait qu’il soit majordome ? Mais c’est stupide !

    -  C’est idiot !

    -  Oui, mais que veux-tu, il a le don de d’attirer l’opposé de lui ! répond Matthias en haussant les épaules.

    Je regarde cette dernière photo. Donc cette mine grave, c’est parce que cette famille voulait faire de lui un être… Emprisonné dans une prison de devoir ? Devant mon mutisme, Matthias m’explique :

    -  Isaac a toujours refusé les règles. Devenir majordome, c’est bien la dernière chose qu’il fallait souhaiter pour lui ! Ils l’ont emmené dans une école privée pour lui apprendre les bonnes manières. Ils ont prit cette photo avant de l’interner.

    -  Vous aviez quel âge ?

    -  12 ans. Après ça…

    Il marque une pause. Ce doit être un souvenir très douloureux… Il garde les yeux baissés tout en continuant :

    -  Je n’ai reçu de lui que des messages suicidaires.

    Ah ouais quand même !

    -  Jour après jour, ça s’empirait. Au bout de 2 ans, j’ai craqué et je suis partit le chercher. Je ne l’ai vu à ce moment-là que quelques secondes, mais il était tellement… Vide.

    -  Ils ne t’ont pas laissé le ramener ?

    -  Tu m’étonnes qu’ils n’ont pas voulu ! Ils m’ont presque jeté dehors. Pendant une semaine, j’ai reçut chaque jour, un message horrible. Presque toujours le même. Son état m’a rendu tellement hors de moi que j’ai forcé l’entrée de l’école privée.

    Il fronce les sourcils. Par les dieux, il leur en veut encore !

    -  J’ai même dû frapper Isaac pour qu’il se bouge les fesses avant que les profs rappliquent !

    Il me regarde d’un air triomphant. Être un pseudo délinquant te fait penser que t’es cool ? Que c’est puéril ! Mais je ne peux m’empêcher de glousser à la vue de sa mine à la fois énervée et fière.

    -  On a réussit à sa barrer à temps. On aurait pu être heureux… Si ces saletés de profs n’avaient pas porté plainte !

    -  Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même ! ris-je, étonnée de voir que ce garçon aux airs dociles puisse avoir rendu des profs fous de rage.

    -  Bah !

    -  Et qu’est-ce que cette plainte t’a valut ?

    -  Un an en Maison de Redressement. Tu te rends compte ? Un an avec Isaac sans personnes pour nous séparer, si c’est pas génial !

    Sur le coup, j’ai envie de me frapper le crâne contre un mur.

    -  Tu te fiches de moi !

    -  Mais quoi ! plaide-t-il en souriant comme un enfant. C’était le pied !

    -  Non mais je rêve…

    Je soupire tandis que Matthias se marre. Idiot ! Être en maison de redressement n’est pas « le pied » ! Surtout pendant un an ! Je regarde la photo. Un sourire sauvage se dessine sur mes lèvres. Ce qu’ils peuvent être fous !


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