• Chapitre 2 : Mon bonheur et les conneries des autres...

    La rentrée scolaire de cette année est passée depuis trois semaines, mais il y a toujours des attardés qui n’arrivent pas à trouver les salles…

    -  Pardon, Madame, j’ai pas réussi à trouver la salle… balbutie un des nombreux attardés.

    -  Va vite t’asseoir, Julien, répond Mme Frann, prof d’anglais, sans même lever le nez de ses papiers (c’est vous dire à quel point elle a l’habitude !). Nicolas, au tableau pour corriger l’exercice !

    Ledit Nicolas, un grand type aux cheveux noirs et au regard de crétin – ce qu’il est – s’exécute sans piper, de peur de se faire éjecter chez le principal pour avoir répondu « oui, Madame » à la prof.

    Je commence à comprendre pourquoi tous l’appelle Frann la Frappadingue…

    L’heure passe dans l’ennui habituel qu’elle apporte et se termine dans la douleur du fessier que ressent chaque élève qui est resté assis là pendant une heure. Viens ensuite la matière que je préfère le plus : le sport ! Tout le monde me prend pour une tarée quand je dis ça, mais comprenez-moi : je n’ai plus de cœur et mes poumons font guirlandes de déco dans mon organisme, car je n’ai pas besoin de respirer pour vivre. Je ne ressens pas la douleur ou la fatigue et c’est un véritable bonheur d’admirer la tronche de merlan frit que tirent les sportifs de ma classe !

    -  Salut les gosses ! hurla M. Daubry, le prof d’E.P.S.

    Je l’aime beaucoup, ce prof, parce qu’il est toujours souriant et il a la plaisante tendance à prendre Jeanne la-garce-de-service pour une poire. C’est mon plaisir personnel : regarder Jeanne tourner en bourrique.

    -  Cette semaine, continue-t-il d’aboyer, on va faire du sprint !

    Oh oui ! Clément va rager tout le reste de la semaine contre Julien !

    Ces deux garçons-là s’entendent aussi bien que deux mâles dominants qui se disputent une lionne en chaleur. Pour faire simple, Clément et Julien sont tous les deux accros à Jeanne. Je me suis toujours demandée ce qu’ils lui trouvait de bien… Les humains ont une citation qui dit « l’amour rend aveugle », mais là, il rend carrément atteint du cerveau.

    Soit dit en passant, ça m’arrange qu’ils soient constamment sur ses godasses à talons, à la Garce de Service, parce qu’elle passe son temps à essayer de les éloigner d’elle et elle fait beaucoup moins attention à moi qu’à mon arrivée.

    Donc notre cours de sport commence dans la joie et la bonne humeur – pour moi – et dans les larmes et les couinements de caniche – pour Jeanne. Le prof nous donne d’abord un échauffement digne d’un camp militaire…

    -  Monsieur ! jappe Julien, l’éternelle geek de la classe. On peut faire une pause, s’il vous plaît ? On en peut plus !

    -  Allons qu’est-ce qu’il me chante, l’ordinateur sur pattes ?

    Hé ! C’est pas mal du tout, comme petit nom !

    L’entraînement militaire de première zone se termine dans les couinements de ma classe et je me vois obligée, par sécurité, de faire semblant d’être essoufflée. Après un entraînement aussi intense, ça ferait suspect si je me baladai en sautillant partout avec un souffle parfaitement régulier ! Et le sprint prend la suite du cours. Lorsqu’on revient tous aux vestiaires, Jeanne nous fait son numéro d’ASD : Aumône Spéciale Déodorant.

    -  Excuse-moi, dit-elle en tapant mon épaule, est-ce que tu as du déodorant à me prêter ?

    Une question me brûle les lèvres. Te souviens-tu de mon prénom, petite Garce ? Mais je me retiens de toutes mes forces. Elle ne le sait pas, ne nous faisons pas d’illusions ! Je souris froidement en inclinant légèrement la tête.

    -  Non, désolée, je n’en ai pas sur moi.

    Jeanne fait la moue. Je ne suis pas un distributeur, tu devrais le savoir depuis trois semaines… Puis elle repart de plus belle vers un autre pigeon qui acceptera de servir de fontaine à déodorant pour le reste de l’année.

    Le bonheur des lundis matins, c’est qu’on n’a pas cours de 11 heures à midi. Le malheur des lundis matins, c’est qu’on est la seule classe prioritaire à la cantine. Je me retrouve donc avec deux options : soit je mange seule et les petites pestes de ma classe viennent me rejoindre parce qu’elles sont toutes de la bande à Jeanne – donc elles me déteste et me pourrissent mon repas – soit je sors m’acheter un sandwich pour le manger dans un parc, mais les parcs sont très mal fréquentés, de nos jours. J’aperçois la bande des 2PC (Pestes Première Classe).

    -  Hey ! gémit Peste Number One, une petite brune squelettique aux yeux bleus et à la peau horriblement blafarde. On mange avec toi, aujourd’hui ?

    -  Je ne crois pas.

    Ma voix est sèche et directe.

    -  Pourquoi ? beugle Peste Number Two, grande, grasse et… beaucoup trop maquillée. Tu mange pourtant tous les jours à la cantine !

    Attends un peu que je contre-attaque, ma grosse !

    -  Très bon argument, mais comme nous avons du temps avant la reprise des cours, je vais m’accorder une petite liberté (je souris de toutes mes dents) en m’éloignant des nuages qui gâchent ma nourriture chaque jour un peu plus.

    Miss Bouboule tire une tronche de quinze pieds – ce qui ne lui arrange pas du tout la face ! – Miss Squelette devient livide – plus qu’elle ne l’est déjà, c’est possible ? – et Jeanne pique une crise. Elle a pas l’air d’avoir l’habitude qu’on réponde comme ça… Elle appelle un surveillant et commence à me crier dessus.

    -  Tu te crois où pour nous parler de la sorte ? hurle-t-elle.

    -  En démocratie, je dirais…

    -  Tais-toi, garce ! Tu n’as pas à nous répondre d’une manière aussi insolente ! Espèce d’animal !

    Je la regarde les yeux écarquillés comme jamais. J’ai l’impression d’avoir le roi Louis XIV en face moi ! Lui aussi avait dit cette phrase lorsque le peuple s’est rebellé en 1789. Ah ! La tête qu’il a fait quand le peuple n’en a rien eu à faire de sa crise d’hystérie ! Je glousse en repensant à cette scène et Jeanne le prend pour elle.

    -  Mais c’est qu’elle se marre, en plus ! Ça te fait rire, ce que je te dis ?

    -  C’est impossible que tes paroles me fassent rire…

    Elle se calme, pensant qu’elle m’avait sous son autorité.

    -  …Puisque je ne t’écoutais pas.

    Et reprend aussitôt son monologue de diva excentrique. Un point pour Lorelay ! Tandis que la diva s’exaspère auprès du pauvre surveillant qui n’a rien demandé, je me remémore ces deux siècles passés à regarder les humains vivre et mourir. Ils sont tous là, à se plaindre de leur vie, qu’elle soit riche ou pauvre, et ne regarde pas ce qu’ils auront lorsqu’ils mourront. Enfin. Je dis ça, mais j’étais pareille ! Quand j’étais humaine…

     

    Sentant une pointe de regret dans ce cœur qui ne battait plus, je ferme les yeux quelques secondes et les ouvres pour regarder Jeanne et sa bande martyriser ce pauvre surveillant.

     

    -  Jeanne, laisse-le tranquille. Si ce sont des excuses, que tu veux, demande-les-moi, au lieu de le traiter comme ton esclave.

     

    Ma voix se fait glaciale.

     

    -  Ne prend pas cet air agressif, garce, rétorque-t-elle encore plus froidement, et dis-moi plutôt tes excuses !

     

    Heureusement pour toi que mon sang est froid depuis 300 ans, ma vieille, parce que crois-moi, si j’étais encore humaine, tu aurais pris mon poing dans la figure !

     

    -  J’ai changé d’avis.

    Je tourne le dos à la bande et sors du collège comme une furie, énervée comme pas possible. La dernière personne qui m’a énervée comme ça, c’est Napoléon III ! Non mais elle s’est prise pour qui ?


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